Sauvetage : Préserver l’Humanité pendant l’Holocauste

Location

United States
53° 5' 33.3708" N, 101° 25' 32.8116" E
US

Aperçu

« Il y a quelque chose, je ne sais pas ce que c’est, bien que j’aimerais l’expliquer parce que je ne suis pas du genre à courir avec une bannière ou à marcher dans une manifestation ou… pas du tout ! Et je ne suis pas une idéologue. Je ne suis pas engagée politiquement et… je n’avais rien à voir avec cela ! C’était juste… par amour des gens. »

-- Constance Koster, venue en aide aux persécutés en Hollande

Le sauvetage est un sujet fondamental pour comprendre la survie au cours du génocide et mesurer la difficulté des choix effectués par les individus dans des circonstances extrêmes. Bien que de nombreuses histoires de survie pendant l’Holocauste soient dues à des circonstances inexpliquées ou inexplicables, il y a aussi des traces multiples d’aides individuelle ou collective et de sauvetage qui permirent à des milliers de Juifs de survivre. Des individus dans tous les pays, différents par leur religion, leur milieu culturel, apportèrent de l’aide, et des actes modestes ou de grande ampleur sauvèrent, directement ou indirectement, des vies. Les individus et les groupes qui s’engagèrent dans les activités de sauvetage le firent au risque de leur propre vie, mirent en danger leurs familles et leurs amis, et transmirent aux générations futures le message d’espoir que même dans la tourmente, des personnes réussissent à dépasser les circonstances pour préserver la dignité humaine. Ces individus et ces groupes ont été reconnus par des institutions nationales et internationales de multiples façons, et leurs témoignages permettront aux générations futures de se souvenir de l’importance de leurs actes courageux.

Cette exposition, née d’un partenariat entre l’UNESCO et l’USC Shoah Foundation – l’Institut pour l’Histoire visuelle et l’éducation, présente des extraits de témoignages de neuf survivants juifs de l’Holocauste et de quatre sauveteurs, abordant les thèmes suivants : le sauvetage organisé, les diplomates et le sauvetage, le sauvetage des enfants, les religieux et le sauvetage, la reconnaissance du sauvetage. À l’occasion de la Journée internationale du souvenir de l’Holocauste, et pour l’avenir, ces témoignages perpétuent la mémoire des actes de courage et la résistance au génocide que représentent les sauveteurs.

L’USC Shoah Foundation conserve un fonds de 52 000 témoignages audiovisuels de survivants de l’Holocauste. Si la grande majorité de la collection est composée d’interviews de survivants juifs, on dénombre également 1 132 témoignages de sauveteurs, enregistrés dans 23 langues et dans 29 pays différents. Le Fond d’Histoire visuelle (Visual History Archive, ou VHA) contient aussi des témoignages de survivants homosexuels, de Tsiganes, de témoins de Jéhovah, de survivants de la politique eugéniste, de prisonniers politiques, de libérateurs et de témoins de la libération des camps, ainsi que de participants aux procès des crimes de guerre. L’Institut travaille actuellement à développer les contenus de sa collection en l’ouvrant aux voix des survivants arméniens, rwandais et d’autres génocides.

Compte tenu de l’importance de cette collection de récits de survivants et de témoins, il existe de nombreuses manières d’appréhender la question du sauvetage. Nous avons choisi cinq thèmes qui mettent en valeur des sauveteurs dont les histoires figurent dans nos archives et qui ont permis aux voix des victimes de nous parvenir : elles nous rappellent l’importance du souci de préserver l’humanité.

Sauver les enfants

On estime à plus d’un million le nombre d’enfants juifs qui ont perdu la vie durant l’Holocauste. Certains échappèrent à la mort en se cachant ou/et en changeant d’identité. Quelques milliers purent également être sauvés par l’intermédiaire d’un sauvetage organisé qui leur permit de s’échapper des territoires occupés par les nazis.

Les enfants, population particulièrement vulnérable, bénéficièrent d’opérations spécifiques de sauvetage. L’exemple le plus connu de ces opérations est probablement celui qui se caractérisa par l’accueil par des familles britanniques d’enfants venus d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie par le biais d’un programme connu sous le nom de Kindertransports. Grâce à celui-ci, près de 10 000 enfants réfugiés, Juifs pour la plupart, furent pris en charge au Royaume-Uni pendant la durée de la guerre. Ces enfants purent ainsi éviter l’expérience du ghetto ou du camp ; dans de nombreux cas, ils furent les seuls membres de leur famille à survivre à l’Holocauste.

Eva Lewin, dont vous pouvez visionner ici un extrait de témoignage, fut l’une de ces enfants des Kindertransports. Le Fonds d’Histoire visuelle contient 856 témoignages évoquant le sauvetage des enfants juifs durant l’Holocauste dans onze langues différentes, dont 659 témoignages dans huit langues évoquant plus particulièrement l’expérience des Kindertransports.

La reconnaissance du sauvetage

Alors que des centaines de personnes ayant participé à des opérations de sauvetage sont demeurées anonymes, des milliers d’autres ont été reconnues et décorées par les gouvernements, des organisations locales et internationales, et par ceux qui ont directement bénéficié de leur aide. La reconnaissance de l’importance de cet engagement dans les activités de sauvetage dans un contexte répressif est l’une des leçons les plus profondes de l’Holocauste, à même de susciter une réflexion dans le cadre éducatif, mais également au-delà, dans les sociétés contemporaines. Comment les actes au quotidien influent-ils sur l’Histoire et que peuvent-ils nous apprendre ? Se souvenir et étudier les actes de la minorité d’individus qui fit son possible pour aider ses voisins est un acte de mémoire propre à combattre l’idéologie génocidaire.

Yad Vashem – le Mémorial national des Héros et des Martyrs de la Shoah – a fondé une commission en 1963 qui reconnaît officiellement les actions héroïques extraordinaires des non Juifs qui risquèrent leur propre vie pour sauver des Juifs durant l’Holocauste. Les sauveteurs se voient attribuer la distinction honorifique de « Justes parmi les Nations » (Hasidei umot haolam). Le Fonds d’Histoire visuelle contient 773 témoignages évoquant les Justes, dans 15 langues différentes, et 823 témoignages dans 18 langues abordant la reconnaissance des sauveteurs. Betty Berz, dont le témoignage vous est présenté ici, participa ainsi au processus d’attribution de cette distinction à la famille Bastian, à qui elle doit d’avoir survécu à Paris pendant la guerre.

Le sauvetage organisé

Alors que de nombreux sauveteurs agirent individuellement, de manière isolée, il existe de nombreux exemples d’initiatives collectives organisées pendant l’Holocauste. Des milieux religieux ou politiques, des mouvements de résistance, des voisins et des villages formèrent des réseaux qui œuvrèrent en commun pour sauver des Juifs. Les activités de sauvetage allèrent d’actes « simples » tels qu’assurer une cachette à des familles, à des actions plus complexes telle que la négociation avec des officiels allemands pour l’échange de prisonniers.

Le comte Folke Bernadotte

Un exemple connu de telles négociations est celui du comte Folke Bernadotte (1895-1949). Ce dernier négocia le sauvetage de Juifs et de prisonniers politiques des camps de concentration pendant la guerre. Neveu du roi de Suède, Gustave V, comte de Wisborg, Bernadotte devint le vice-président de la Croix-Rouge suédoise en 1943. En mars et en avril 1945, il rencontra Heinrich Himmler et ses collaborateurs et négocia la libération de 7 000 prisonniers scandinaves de divers camps de concentration et du ghetto de Teresienstadt. Bernadotte œuvra aussi à la sortie de 10 000 prisonnières dont 2 000 juives du camp de Ravensbrück en Allemagne, qui furent ensuite transférées en Suède. Irène Fainman-Krausz, dont vous pouvez visionner ici un extrait du témoignage, fut l’une de ces prisonnières. Le Fonds d’Histoire visuelle contient 229 témoignages évoquant les activités de sauvetage du comte Folke Bernadotte, dans 11 langues différentes.

Danemark

Le sauvetage organisé a pu également résulter de l’action conjointe d’un gouvernement et des civils. Au Danemark, quand la police allemande commença à arrêter les Juifs (1er et 2 octobre 1943), les Danois se mobilisèrent efficacement pour aider ces derniers à rejoindre la Suède, pays voisin et neutre. Résistants et citoyens ordinaires s’organisèrent dans tous le pays pour conduire les Juifs sur la côte où des pêcheurs danois les acheminèrent par bateau vers la Suède. Impliqué dans cette opération, Kruuse Caroe, dont un extrait de témoignage est présenté ici, aida à l’évacuation des Juifs de Copenhague vers des cachettes situées dans la campagne. 2% seulement des Juifs danois disparurent dans l’Holocauste, un pourcentage limité qu’expliquent l’aide apportée par le peuple danois, les réticences de l’administration civile qui protesta contre la déportation des Juifs et qui demanda à plusieurs reprises à les voir dans le camp de Teresienstadt.

Varian Fry

Le sauvetage organisé induisit souvent une coopération internationale et transnationale. En plus de l’action de certains pays européens, des Américains s’engagèrent aussi dans les activités de sauvetage. L’Américain Varian Fry fut le directeur en Europe du Comité de sauvetage d’urgence (Emergency Rescue Committee, ERC). Avec l’ERC, il aida des intellectuels, des artistes, des écrivains et des hommes politiques à quitter l’Europe pour les Etats-Unis, par des moyens légaux ou non. Les opérations de sauvetage furent conduites à Marseille en 1940 et 1941. Fry arriva en Europe avec une liste de 200 réfugiés à identifier et mis sur pied une organisation humanitaire intitulée Centre Américain de Secours afin de distribuer des fonds aux réfugiés et de les aider à obtenir des visas. L’engagement de Fry dans des activités illégales telles que la confection de passeports et l’attribution de faux papiers payèrent dans de nombreux cas. Fry et son organisation aidèrent ainsi près d’un millier de réfugiés à s’échapper, parmi lesquels Hannah Arendt, Lion Feuchtwanger, Heinrich et Nelly Mann, Franz et Alma Mahler Werfel, Max Ernst ou encore Marc Chagall. En septembre 1941, les autorités françaises l’arrêtèrent et l’expulsèrent de France. En 1994, Yad Vashem l’honora du titre honorifique de Juste parmi les Nations pour son action en faveur des Juifs. Le Fonds d’Histoire visuelle contient douze témoignages qui évoquent les activités de Varian Fry, en Anglais et en Français. Dans l’extrait suivant, Jean Gemähling, qui travailla aux côtés de Fry, décrit ses activités.

Les diplomates et le sauvetage

Parmi les cas les plus notoires de sauvetage, certains se sont déroulés dans les ambassades. Des diplomates à travers l’Europe ont aidé les Juifs à échapper aux persécutions en émettant des visas et d’autres documents pour leur voyage destinés à leur permettre de fuir les territoires occupés par les nazis. Raoul Wallenberg (Hongrie), Chiune Sugihara (Lituanie) et Aristides de Sousa Mendes (France) nous offrent trois cas exemplaires de diplomates engagés dans les activités de sauvetage.

Chiune (Sempo) Sugihara

En Lituanie, Chiune (Sempo) Sugihara a sauvé entre 5 000 à 10 000 personnes en fournissant des visas qui ont permis aux Juifs de s’échapper par le Japon. Né le 1er janvier 1900, Sugihara était un diplomate de carrière qui partit d’Helsinki en 1939 pour ouvrir un consulat à Kovno (aujourd’hui Kaunas), en Lituanie. Vice consul, Sugihara travaillait aux côtés du Docteur Zorach Warhaftig, un des dirigeants de la communauté juive, et de Jan Zwartendijk, le consul hollandais honoraire, pour aider les réfugiés juifs de Lituanie à rejoindre l’île de Curaçao, sous contrôle hollandais, en passant par le Japon et l’Union soviétique.

Quand le gouvernement japonais refusa d’accorder des visas, Sugihara passa outre les instructions du gouvernement et continua d’élaborer les documents. Avec l’aide de sa femme, Yokiko Sugihara, il délivra entre 1 600 et 3 500 visas entre début juillet et fin août 1940. Par la suite, il travailla à Prague et à Königsberg, où il continua à donner des visas aux Juifs. Quand il retourna au Japon en 1947, le gouvernement japonais le sanctionna en exigeant qu’il démissionne du corps diplomatique pour avoir ignoré les directives gouvernementales. En 1984, Yad Vashem lui accorda le titre de Juste parmi les Nations pour son action en faveur des Juifs. Sugihara mourut à Kamamura, dans la banlieue de Tokyo, le 31 juillet 1986. Il est évoqué dans 62 témoignages du Fonds d’Histoire visuelle, dans six langues différentes. Les archives contiennent notamment un témoignage en japonais de sa femme Yukiko, qui l’assista dans ses activités de sauvetage.

Raoul Wallenberg

Né à Stockholm (Suède), Raoul Wallenberg (1912 - ?) était un homme d’affaires suédois et un diplomate qui sauva entre 20 000 et 35 000 Juifs hongrois pendant l’Holocauste. En 1944, après l’occupation allemande de la Hongrie, Wallenberg se vit assigner par le War Refugee Board (WRB) – une organisation gouvernementale créée par le président Roosevelt pour sauver les victimes de l’oppression nazie – la mission d’aider les Juifs Hongrois. Bien qu’il n’ait aucune expérience dans la diplomatie ou le travail clandestin, Wallenberg accepta la mission. Du 9 juillet 1944 au 16 janvier 1945, il travailla sans interruption à aider autant de Juifs que possible à Budapest, avec le financement du WRB. Il émit un document de protection connu sous le nom de « passeport Wallenberg » (Schutz-Pass) et convainquit les autorités hongroises que les Juifs munis de ces papiers, présentés comme des citoyens suédois, quitteraient rapidement la Hongrie. Ces Juifs furent placés en sécurité dans des maisons que Wallenberg avait réquisitionnées et désignées comme propriété suédoise. Il poursuivit ses activités après la prise du pouvoir par les Croix fléchées en octobre 1944, traversant régulièrement la ville pour apporter les documents aux Juifs et persévéra quand Adolf Eichmann lui ordonna de s’arrêter. En janvier 1945, Wallenberg fut placé en détention dans la zone d’occupation soviétique et sa destinée ultérieure demeure inconnue. La Suède et les États-Unis enquêtèrent sur son sort possible. L’URSS fit finalement savoir que Wallenberg était mort dans une prison soviétique en 1947, bien qu’aucun certificat de décès ne fut jamais produit. En 1963, Yad Vashem lui décerna le titre de Juste parmi les Nations pour ses efforts en faveur des Juifs. Raoul Wallenberg est évoqué dans 225 témoignages, dans 10 langues, dans le Fonds d’Histoire visuelle.

Aristides de Sousa Mendes

Aristides de Sousa Mendes do Amaral e Abranches (1885 - 1954) était un diplomate portugais qui, après la défaite française de 1940, délivra des visas aux réfugiés juifs à Bordeaux et à Bayonne pour quitter la France, et par conséquent l’Europe, via l’Espagne et le Portugal. Il continua à donner des visas même après avoir reçu l’ordre du gouvernement portugais de mettre un terme à son action. En conséquence, il fut rappelé à Lisbonne et perdit son poste ; il mourut dans la pauvreté en 1954. En 1966, Yad Vashem lui attribua le titre honorifique de Juste parmi les Nations pour son action en faveur des Juifs. Le Fonds d’Histoire visuelle contient cinq témoignages, en Anglais et en Français, qui évoque le travail de Sousa Mendes. Son fils Pedro a raconté en détail celui-ci dans un témoignage de la collection.

Les religieux et le sauvetage

Des individus et des groupes d’origines religieuses diverses aidèrent au sauvetage des Juifs pendant l’Holocauste. Les églises, les monastères et d’autres lieux de culte encore devinrent des refuges pour cacher des Juifs, notamment les enfants. Les chefs religieux, tel qu’Andrei Sheptytskyi, participèrent aux activités de sauvetage et d’assistance, et encouragèrent ou contraignirent leurs collègues à s’y impliquer. Des groupes religieux formèrent des réseaux d’aide, mais des membres du clergé tel que l’abbé Joseph André s’engagèrent aussi individuellement dans des activités et sauvèrent des dizaines de vies. Ces religieux, et d’autres comme eux, ont été honorés au sein de leur Église mais aussi par des organisations externes pour leurs actions de sauvetages.

Andrei Sheptytskyi

Le métropolitain Andrei Sheptytskyi (1865-1944) était le chef de l’Église catholique grecque (uniate) en Ukraine à l’époque de l’occupation nazie. En février 1942, Sheptytskyi envoya une lettre de protestation à Heinrich Himmler dénonçant le recours à la police ukrainienne pour appliquer les mesures antijuives et, en novembre 1942, une lettre pastorale appela ouvertement à la fin des violences. En compagnie de son frère Klemens, il organisa un réseau qui contribua à sauver plusieurs centaines de Juifs en fournissant des refuges dans les couvents et les monastères placés sous sa juridiction. Andrei Sheptytskyi mourut le 1er novembre 1944 à Lwów. Le Fonds d’Histoire visuelle contient cinq témoignages en Anglais et en Ukrainien qui évoque l’action d’Andrei Sheptytskyi. Edward Harvitt and Kurt Lewin, que l’on rencontre dans deux extraits de témoignages qui vous sont proposés ici, bénéficièrent tous les deux de l’aide d’Andrei Sheptytskyi.

L’abbé Joseph André

L’abbé Joseph André (1908-1973) était un prêtre qui sauva des enfants juifs en Belgique pendant la guerre. Depuis sa paroisse à Namur, André œuvra avec une organisation clandestine, le Comité de Défense des Juifs, pour localiser des cachettes pour les enfants, dans les monastères, les couvents et des maisons de particuliers. Conscient que le Gestapo était sur le point de l’arrêter, l’abbé se cacha lui-même jusqu’à ce que les armées alliées libèrent la Belgique en septembre 1944. Après la Libération, il recueillit les enfants qu’il avait placés dans la clandestinité et les ramena à leurs parents ou à des organisations juives. En 1968, il fut reconnu Juste parmi les Nations par Yad Vashem pour son activité de sauvetage. Isaac Sephiha, dont le témoignage vous est présenté, travailla aux côtés de l’abbé Joseph André pour sauver les Juifs de Belgique.

PDF icon UNESCO_2013_bios_FR.pdf