UNESCO 2014 Unthinkable Journeys Body Text (FRENCH)
Tout est devenu inconnu, de la manière de vivre avant, quand nous savions exactement ce que chaque minute au quotidien apporterait. Soudain, chaque minute était un complet inconnu…
Dans les années 1940, l’exode et les déplacements de personnes ont progressé au fur et à mesure que la guerre s’étendait sur des portions toujours plus larges du continent européen et de la planète. Les déplacements forcés de populations se développèrent massivement au moment où les populations juives étaient liquidées par les processus de ghettoïsation et de déportation. Alors que la fuite signifiait un futur incertain et entraînait un grand risque pour les personnes débutant une nouvelle vie dans un pays étranger, la déportation apportait l’incertitude, la perte et la perspective d’une mort imminente. Le trajet de la déportation donnait un avant-goût sinistre de la mort et de la destruction qui allait suivre quand les nazis mirent finalement en place « la solution finale du problème juif ». Comme Felicia Carmelly le décrit dans l’épigraphe qui ouvre cette section, le processus de déportation faisait de l’inconnu la seule chose prévisible de l’existence.
La déportation s’est déroulée d’un bout à l’autre de l’Europe et a entraîné le déplacement involontaire de populations de leurs foyers vers les ghettos et/ou les camps. Alors que la trajectoire générale de la déportation est à présent bien connue, la micro-histoire de la déportation révèle en fait une variété d’expériences de déplacements forcés. L’incertitude qui prévalait durant la déportation provoqua la peur, poussant les personnes à s’accrocher les unes aux autres au point de réduire leur capacité d’action. Dans son témoignage, Régine Jacubert souligne la peur qui régnait parmi les déportés durant la déportation, une peur si forte qu’elle empêcha certains de tenter de sauver leur propre vie.
La déportation emprunta des voies tortueuses. Dans la région de l’Ukraine que les nazis avaient dénommé Transnistrie, les Juifs des régions de Bucovine et de Bessarabie (aujourd’hui, la Moldavie et l’Ukraine) furent déportés par trains, par péniches et à pied. Le processus fut ad hoc et les camps étaient assez informels. Ainsi des déportés comme Moshe Shamir furent-ils amenés à chercher refuge sur la route. La population juive locale fut en partie exterminée et ceux qui survécurent furent envoyés dans des ghettos et des camps. Les déportés de Roumanie furent emprisonnés dans des ghettos, des camps et des colonies. Dans l’extrait de témoignage qui peut être visionné ici, Moshe décrit son expérience de la déportation en Transnistrie.
L’élément sans doute le plus complexe auquel on se confronte dans l’élaboration d’une exposition s’appuyant sur des témoignages de rescapés du génocide est l’inimaginable itinéraire dans le génocide lui-même. La déportation fut une étape dans le processus, mais la destination ultime de cet itinéraire – la chambre à gaz, le charnier – confine à l’indicible et se trouve de fait peu évoqué dans les témoignages des survivants. En ce jour du souvenir de l’Holocauste, nous rendons un hommage particulier à ces victimes, dont les histoires ne peuvent être racontées. Parmi ceux qui ont miraculeusement survécu à la volonté d’extermination nazie, beaucoup ont aussi enduré ce qui est connu sous le nom de «marches de la mort ». Le témoignage de Simone Lagrange fournit une illustration éprouvante de ces marches génocidaires. L’avenir incertain que Felicia Carmelly évoque dans son témoignage est, et restera, un passé incertain. Ce qui est certain aujourd’hui est que l’horreur du génocide ne doit jamais être oubliée.