UNESCO 2014 Unthinkable Journeys Body Text (FRENCH)

Tout est devenu inconnu, de la manière de vivre avant, quand nous savions exactement ce que chaque minute au quotidien apporterait. Soudain, chaque minute était un complet inconnu…

– Felicia Carmelly, née en 1931 en Roumanie, a survécu à la déportation en Transnistrie

Dans les années 1940, l’exode et les déplacements de personnes ont progressé au fur et à mesure que la guerre s’étendait sur des portions toujours plus larges du continent européen et de la planète. Les déplacements forcés de populations se développèrent massivement au moment où les populations juives étaient liquidées par les processus de ghettoïsation et de déportation. Alors que la fuite signifiait un futur incertain et entraînait un grand risque pour les personnes débutant une nouvelle vie dans un pays étranger, la déportation apportait l’incertitude, la perte et la perspective d’une mort imminente. Le trajet de la déportation donnait un avant-goût sinistre de la mort et de la destruction qui allait suivre quand les nazis mirent finalement en place « la solution finale du problème juif ». Comme Felicia Carmelly le décrit dans l’épigraphe qui ouvre cette section, le processus de déportation faisait de l’inconnu la seule chose prévisible de l’existence.

La déportation s’est déroulée d’un bout à l’autre de l’Europe et a entraîné le déplacement involontaire de populations de leurs foyers vers les ghettos et/ou les camps. Alors que la trajectoire générale de la déportation est à présent bien connue, la micro-histoire de la déportation révèle en fait une variété d’expériences de déplacements forcés. L’incertitude qui prévalait durant la déportation provoqua la peur, poussant les personnes à s’accrocher les unes aux autres au point de réduire leur capacité d’action. Dans son témoignage, Régine Jacubert souligne la peur qui régnait parmi les déportés durant la déportation, une peur si forte qu’elle empêcha certains de tenter de sauver leur propre vie.

La déportation emprunta des voies tortueuses. Dans la région de l’Ukraine que les nazis avaient dénommé Transnistrie, les Juifs des régions de Bucovine et de Bessarabie (aujourd’hui, la Moldavie et l’Ukraine) furent déportés par trains, par péniches et à pied. Le processus fut ad hoc et les camps étaient assez informels. Ainsi des déportés comme Moshe Shamir furent-ils amenés à chercher refuge sur la route. La population juive locale fut en partie exterminée et ceux qui survécurent furent envoyés dans des ghettos et des camps. Les déportés de Roumanie furent emprisonnés dans des ghettos, des camps et des colonies. Dans l’extrait de témoignage qui peut être visionné ici, Moshe décrit son expérience de la déportation en Transnistrie.

L’élément sans doute le plus complexe auquel on se confronte dans l’élaboration d’une exposition s’appuyant sur des témoignages de rescapés du génocide est l’inimaginable itinéraire dans le génocide lui-même. La déportation fut une étape dans le processus, mais la destination ultime de cet itinéraire – la chambre à gaz, le charnier – confine à l’indicible et se trouve de fait peu évoqué dans les témoignages des survivants. En ce jour du souvenir de l’Holocauste, nous rendons un hommage particulier à ces victimes, dont les histoires ne peuvent être racontées. Parmi ceux qui ont miraculeusement survécu à la volonté d’extermination nazie, beaucoup ont aussi enduré ce qui est connu sous le nom de «marches de la mort ». Le témoignage de Simone Lagrange fournit une illustration éprouvante de ces marches génocidaires. L’avenir incertain que Felicia Carmelly évoque dans son témoignage est, et restera, un passé incertain. Ce qui est certain aujourd’hui est que l’horreur du génocide ne doit jamais être oubliée.

Unthinkable Journeys UNESCO 2014 French

Régine Jacubert

Régine Jacubert (née Skørka) est née le 24 janvier 1920 à Zagorow, Pologne. Son père, Yacob Skørka enseignait l’Hébreu et le Yiddish dans une yeshivah. Sa mère, Slatka Szejman était modiste. Elle avait trois frères. La famille est arrivée en France en 1930, s’installant à Nancy.

Réfugiée à Bordeaux avec les siens après l’invasion allemande en 1940, Régine rentre seule à Nancy où elle travaille. Le reste de sa famille est arrêté et interné. A Nancy, Biographies des témoins elle échappe à la grande rafle du 19 juillet 1942 et passe clandestinement en zone Sud. A Lyon, où elle a trouvé un travail, elle entre dans le mouvement de résistance Combat, en janvier 1943. Arrêtée en juin 1944, elle est interrogée à la Gestapo, notamment par Klaus Barbie. Transférée à Drancy, elle est déportée à Auschwitz- Birkenau par le convoi du 31 juillet 1944. Au bout de trois mois, elle est transférée au camp de travail pour femme de Kratzau en Tchécoslovaquie. Là, elle travaille dans une usine d’armement. Le camp est libéré par l’Armée rouge le 9 mai 1945 et elle rentre en France le 3 juin 1945.

A la fin des années 1980, elle témoigne au procès de Klaus Barbie. Elle s’investit pleinement dans le travail de mémoire et la transmission de son expérience aux des jeunes générations. En 2009, elle a publié un livre sur ses expériences pendant la Shoah, entitulé Fringale de vie contre usine à mort.

L’interview a été réalisée le 7 février 1996 à Nancy (France); interviewer : Georges Gandwerg; vidéaste : Daniel Cattan.

  • Régine Jacubert

    Language: French

    Régine Jacubert (née Skørka) est née le 24 janvier 1920 à Zagorow, Pologne. Son père, Yacob Skørka enseignait l’Hébreu et le Yiddish dans une yeshivah. Sa mère, Slatka Szejman était modiste. Elle avait trois frères. La famille est arrivée en France en 1930, s’installant à Nancy.

    Réfugiée à Bordeaux avec les siens après l’invasion allemande en 1940, Régine rentre seule à Nancy où elle travaille. Le reste de sa famille est arrêté et interné. A Nancy, Biographies des témoins elle échappe à la grande rafle du 19 juillet 1942 et passe clandestinement en zone Sud. A Lyon, où elle a trouvé un travail, elle entre dans le mouvement de résistance Combat, en janvier 1943. Arrêtée en juin 1944, elle est interrogée à la Gestapo, notamment par Klaus Barbie. Transférée à Drancy, elle est déportée à Auschwitz- Birkenau par le convoi du 31 juillet 1944. Au bout de trois mois, elle est transférée au camp de travail pour femme de Kratzau en Tchécoslovaquie. Là, elle travaille dans une usine d’armement. Le camp est libéré par l’Armée rouge le 9 mai 1945 et elle rentre en France le 3 juin 1945.

    A la fin des années 1980, elle témoigne au procès de Klaus Barbie. Elle s’investit pleinement dans le travail de mémoire et la transmission de son expérience aux des jeunes générations. En 2009, elle a publié un livre sur ses expériences pendant la Shoah, entitulé Fringale de vie contre usine à mort.

    L’interview a été réalisée le 7 février 1996 à Nancy (France); interviewer : Georges Gandwerg; vidéaste : Daniel Cattan.

  • Yaakov Handeli

    Language: English

    Yaakov Handeli est né le 23 juillet 1927 à Salonique, en Grèce, dans une famille juive de la classe moyenne. Il est le cadet de six enfants ; il a deux frères et trois soeurs. Son père, Shlomoh, possède avec des associés une entreprise de matériaux de construction. Parlant le ladino à la maison, Yaakov fréquente une école dans cette langue, et un lycée, où il étudie le Grec.

    Après l’invasion allemande de Salonique le 8 avril 1941, Shlomoh et ses associés se voient confisquer leur entreprise par les autorités d’occupation. En 1943, la famille Handeli est contrainte de s’installer dans le ghetto établi dans le quartier du Baron Hirsch de Salonique. Une semaine plus tard, elle est déportée à Auschwitz en Pologne. Yaakov voit ses parents et ses deux soeurs pour la dernière fois la nuit où ils arrivent au camp de concentration : ils sont chargés sur un camion et envoyés à la chambre à gaz, à Auschwitz II-Birkenau. Avec ses frères, Yaakov, échoue à Auschwitz I. Il est transféré dans un Kommando à Auschwitz IIIMonowitz et, de là, vers les camps de Gleiwitz, Mittelbau-Dora, et Bergen Belsen en Allemagne. Yaakov est libéré à Bergen-Belsen le 15 avril 1945 par les forces armées britanniques.

    Après la libération de Bamberg (Allemagne), Yaakov reçoit un entraînement militaire de la Haganah, la principale organisation juive de résistance de 1920 à 1948, à Marseille, en France. Il arrive à Haïfa, en Israël, en 1948. Là, Yaakov sert dans l’armée et travaille à l’Agence juive et à l’Appel juif unifié (UJA). Au moment de l’interview, il était marié et avait deux enfants.

    L’interview a été réalisée le 12 juin 1996 à Jérusalem (Israël) ; intervieweur : Na’aman Belkind ; vidéaste : Arnon Kedem.

  • Moshe Shamir

    Language: English

    Moshe Shamir (né sous le nom de Schmucker) voit le jour dans une famille juive orthodoxe le 17 avril 1922 à Cernauti, Roumanie (aujourd’hui Chernivtsi, Ukraine). Son père, Avraham, est enseignant dans une école hébraïque. Il meurt quand Moshe n’a que cinq ans. La mère de Moshe, Rifka, l’élève avec son frère aîné, Menachem. Moshe fréquente une école yiddish, est membre du mouvement de jeunesse sioniste Gordonia et chante dans une chorale juive au temple. Il travaille en tant qu’apprenti dans une mercerie à l’âge de douze ans.

    Cernauti est annexé par l’URSS en 1940. En juillet 1941, l’armée roumaine, alliée de l’Allemagne nazie, reprend la ville dans le cadre de l’invasion de l’Union soviétique. Moshe est astreint au travail forcé pour reconstruire le pont principal sur la rivière Prout, détruit par un bombardement. En quelques semaines, tous les Juifs de la ville se voient contraints de rejoindre le ghetto. Les déportations commencent fin 1941, et Moshe et sa mère, avec les autres déportés, doivent franchir la frontière romano-soviétique, à la frontière de la Transnistrie – un territoire situé à l’est du Dniestr, sous le contrôle de l’administration roumaine d’août 1941 à mars 1944. Ils arrivent au ghetto de Ivashkovtsy, dans la région de Vinnitsa en Ukraine. Moshe reste dans le ghetto jusqu’en 1943, avant d’être déporté dans les camps de la région d’Odessa et de Nikolaev pour travailler à la construction de ponts et de routes, sous le contrôle de l’Organisation Todt – une organisation allemande créée et dirigée par l’ingénieur nazi Fritz Todt, dans le but de construire des aménagements militaires en Allemagne et dans les territoires occupés. À la suite d’une blessure à la main, Moshe est envoyé à l’hôpital situé dans le ghetto de Mogilev-Podol’skii, en 1944. À l’approche de l’armée soviétique, il est libéré de l’hôpital du ghetto et retrouve sa mère à Ivashkovtsy, quand le territoire est libéré par l’Armée rouge.

    Après la libération, Moshe et Rifka retourne chez eux à Cernauti, alors sous administration soviétique, et rejoignent Menachem, le frère de Moshe. Peu désireux de vivre sous le régime communiste, Moshe franchit illégalement la frontière de la Roumanie. Il suit un programme sioniste de formation à Timisoara préparant à l’immigration et à l’installation en Palestine. Il est à bord du Pan York et approche de la Palestine en décembre 1947 quand le bateau est arraisonné par des gardes-frontières britanniques. Tous les passagers sont internés à Chypre. Moshe est libéré du camp d’internement no. 61 le 10 février 1949 et arrive à Haïfa. En Israël, Moshe travaille pour le Mossad – les services secrets israéliens. Il épouse Judith en 1954, et a deux enfants, Avichai et David, et deux petits-enfants.

    L’interview a été réalisée le 2 novembre 1998 à Netanya (Israël) ; interviewer : Caroline Newman ; vidéaste : Ilan Kedem.

  • Simone Lagrange

    Language: French

    Simone Lagrange (née Kadousche) est née le 23 octobre 1930 à Saint-Fons, à côté de Lyon. Originaires du Maroc, ses parents Simon Kadousche et Rachel ont rejoint la France aux années 1920.

    Au moment de la guerre, son père aide au transfert de réfugiés de la zone Nord et transporte des armes. De son côté, Simone n’est encore qu’une jeune adolescente lorsqu’elle accomplit ses premiers actes de résistance, diffusant des tracts de la Résistance.

    Trahie par une personne qu’elle hébergeait, la famille est arrêtée le 6 juin 1944 et emmenée à la Gestapo. Ce jourlà et les suivants, alors que Simone et ses parents ont été amenés au fort de Montluc, la jeune fille est violentée par Klaus Barbie, chef de la Gestapo de la région lyonnaise. Transférés à Drancy, Simone et sa mère y demeurent une semaine avant d’être déportées à Auschwitz-Birkenau par le convoi du 30 juin 1944. Sa mère est gazée le 23 août 1944. Après cinq mois à Birkenau, Simone est transférée au camp d’Auschwitz I. Elle travaille dans une usine jusqu’à l’évacuation du 18 janvier 1945. Au cours de la marche forcée qui suit, Simone retrouve son père qu’elle n’avait pas revu depuis Montluc. Les retrouvailles sont brutalement interrompues par un soldat SS qui exécute son père sous ses yeux. Epuisée, elle échoue au camp de Ravensbrück, quelques jours plus tard. Lors de l’évacuation du camp, en mai 1945, elle s’échappe du convoi avec une compagne d’internement. Le 8 mai, les fugitives rencontrent des soldats de l’Armée rouge avant de pénétrer dans la zone américaine à quelques dizaines de kilomètres de là.

    Après bien des détours, Simone finit par rentrer à Paris le 27 mai 1945. En 1987, elle sera un témoin majeur au procès de Klaus Barbie, accusé de crimes contre l’humanité pour son rôle dans la Gestapo pendant la guerre. Elle racontait ses expériences pendant l’Holocauste dans le documentaire As a Young Girl of 13 (2011) (Une jeune fille de 13 ans), et figurait dans les documentaires Hôtel Terminus (1988) et Autopsie d’un mensonge - Le négationnisme (2001). Elle continue aujourd’hui de transmettre son expérience en intervenant auprès des lycéens.

    L’interview a été menée le 14 octobre 1995 à Seyssinet (France); interviewer : Gérard Darcueil; vidéaste : Denis Cugnod.